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9 septembre 2015 3 09 /09 /septembre /2015 23:17

Le spectacle de Livane, selon une ambiguïté délicieuse, propose trois formes en une seule : un personnage de jeune femme un peu bébête qui perçoit le public comme semblable à elle, un peu une gentille « cruche », une chanteuse faisant un très beau récital de « vraies » chansons avec une voix parfaite, enfin une auteure compositrice interprète écrivant des textes poétiques, drôles, émouvants. Le plaisir du spectateur navigue entre un théâtre comique, le récital chansonné et la joie si douce d’écouter de la belle littérature.

Il est vrai que Livane a d’abord été comédienne. Ici, elle joue un personnage qui raconte sa vie et, malgré une sorte de bêtise en pointillé, produit de très belles chansons, fines et subtiles. D’où un contraste entre le personnage de comédie, régime spectatoriel qui admet voire prescrit le grossissement du trait, et l’âme subtile, sensible, à l’humour ravageur, dessinée dans les textes des chansons. Accoutumance ou réinterprétation à partir de l’hypothèse de l’autodérision, le plaisir du spectateur n’est pas embarrassé par cette fluctuation. Rien n’empêche de tenir côte à côte le régime théâtral et le régime de la chanson, sans trancher l’alternative : ou bien les chansons sont des moments de la vie d’un personnage inventé et joué, ou bien le personnage joué est juste chargé de faire les sutures entre les chansons successives. Ce qui crée, dans les deux cas, une belle alternance affective : le rire franc et l’émotion fraîche se succèdent, lissés par la très belle voix entière, fluide, cristalline et chaude à la fois, parfaitement posée et tenue, tout le long du récital.

La beauté aérienne et splendide de la chanteuse joue aussi un rôle important. La beauté désigne la femme au désir, risque Bataille dans L’érotisme. À moins que ce soit le désir qui produise la beauté. Livane est une déesse, descendue de l’empyrée, muni de cithares et de boites à musique, venue nous charmer, tissant un petit cosmos merveilleux, poétique, léger et doux. Elle ne s’appuie pas sur sa beauté physique – un visage tout de grâce –, car elle peut se malmener elle-même si la chanson ou le spectacle l’exige. C’est sa force : un humour oscillant entre férocité et tendresse, suscitant cette joie que l’on éprouve devant le spectacle de l’humanité en déroute luttant avec des moyens aussi dérisoires que familiers, c’est-à-dire chacun d’entre nous. Je m’auto-saoule est un bon exemple de cet humour tendre et si vrai : https://soundcloud.com/livane-1. C’est parce qu’elle propose un regard universel sur la condition humaine que ses chansons sont si rassurantes, mais c’est aussi parce qu’elle esquisse un art des paradoxes qu’elle a une singularité d’artiste. Bêtise mais subtilité, effondrement mais joyeux, fantaisie sérieuse de celles qui savent que la vie sociale est un vaste carnaval et qu’il est quand même possible de ne pas sombrer dans la tristesse. De l’humour comme médecine. Telle est Livane.

Jean-Jacques Delfour

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