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27 novembre 2014 4 27 /11 /novembre /2014 11:58

      Vu au Théâtre Garonne le 21 nov. 2014

pindorama-lia rodrigues-©sammi landweer-0970

© sammi landwee

La nudité chorégraphique est devenue un élément accepté de la danse contemporaine (cf note 1). Précédée par des siècles polémiques de nus en peinture et des millénaires traditionnels de nus en sculpture, la nudité en danse n’est plus un scandale social : en perdant l’indécence et l’incitation à la débauche, elle s’est affranchie du code civil et des bonnes mœurs définies par la bourgeoisie. La nudité en danse est devenue un matériau artistique, un aspect parmi d’autres d’une proposition chorégraphique globale. Mais le corps mis à nu, chez ses chorégraphes même, reste connecté aux représentations historiques.

Ici, les danseurs ont des corps parfaits ou presque : ils convoquent involontairement un modèle issu du croisement du corps de l’hygiénisme (le corps des travailleurs doit être sain c’est-à-dire productif) et celui du fascisme (le corps des sujets doit être fort c’est-à-dire militaire). D’où le règne du corps sportif : corps d’esclave ou corps marchandise. En outre, le corps hédoniste, comme corps d’amour (corps érotique) ou comme corps mercantile (corps pornographique), n’est jamais bien loin du corps chorégraphique.

C’est pourquoi une partie du travail de création consiste, sinon à déjouer, du moins à utiliser ces significations sociales et politiques flottantes. Et, d’autre part, une partie du travail du spectateur consiste, sinon à éviter, du moins à saisir que sa réception est conditionnée par la co-présence, aux horizons nubileux de son esprit-corps fasciné par le spectacle, de déterminations politiques ou idéologiques.

Le corps d’une femme, ballotée, agressée, enveloppée par de violentes vagues, des cris et de l’excitation, associe une scène manifestement sadique et un hédonisme maritime ou fluvial, convoquant à l’esprit-corps du spectateur l’irrésistible référence aux nymphes gréco-romaines, naïades et autres océanides. Cette scène, qui semble tirée de l’Odyssée, s’étire en longueur, alterne vivacité et repos, brise le tempo consommatoire de la surexcitation successive. Habitué à cet étirement temporel, il se peut que le spectateur accepte la deuxième séquence malgré l’aspect répétition de la première (mais avec un groupe de danseurs cette fois).

La troisième séquence est ambiguë. Le spectateur, debout, piétine la scène où glissent les corps magnifiques des danseurs, excitant la pulsion scopique et proposant, à l’aplomb des corps, comme une position de voyeur pas anesthésié mais presque, en tout cas de dominant. Certes, la communion esthétique est capable d’occulter les significations politiques du rapport spectateur acteur. Mais ce rapport demeure : l’acteur (danseur ou comédien) est toujours là pour le plaisir du spectateur. Cette finalité de jouissance conditionne l’expérience spectatorielle. Ici, le renversement vertical du rapport optique, habituellement horizontal, conjugué à l’aspect animal des reptations aquatiques, rehaussé par l’éclatement des bulles, symbole de jouissance, convoque le stéréotype des rêveries hédonistes archaïques : le roulement dans le ruisseau, la fange de jouissance, l’ivresse du plaisir, autant d’images de la présumée régression sexuelle.

La sexualité est un dénuement libératoire : la tentative de se déshabiller culturellement en se déshabillant matériellement, en vue de la plénitude sexuelle, fait signe vers le modèle anarchique, si l’on peut dire, de l’orgasme réel. Celui-ci est idéologiquement caché par la réputation de régression archaïque, de « petite mort », de pauvreté. Cette dissimulation est tolérée parce que chacun sait que, dans l’intimité sexuelle, radicalement anarchique (le plaisir est seul maître), il est possible de jouir dans une absolue plénitude, débarrassé de la bienséance castratrice et des bonnes mœurs qui protègent la jouissance du censeur. La séquence finale de Pindorama propose une image fantastique d’une communion charnelle légèrement désérotisée. Un primitivisme finalement appuyé sur des figures assez classiques.

Jean-Jacques Delfour

Note 1: Cf notre article "La nudité en danse", in Figure de l’artno 4, décembre 1999, p. 559-580

 

pindorama-lia-rodrigues-csammi-landweer-1151.jpg

      © sammi landwee

 

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