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9 juillet 2014 3 09 /07 /juillet /2014 10:37

 

Ce film associe une séduction efficace et un enseignement douteux de la résignation. Ce coktail délétère est presque invisible du fait que le personnage principal mime à la fin une sorte de révolte qui n’aboutit en réalité qu’à une aliénation plus profonde.

Séduisants sont les décors, les costumes, les gags innombrables et pour certains, vraiment hilarants. Londres dans quelques décennies diffère à peine de son état actuel. Cette ville est d’ailleurs sans identité : elle signifie toutes les villes du monde soumises aux technologies envahissantes et au capitalisme hyper-agressif, sans compter les sectes qui pulullent.

Le personnage, dont le nom évoque Qohélet, un chapitre biblique appartenant au cycle dit de la Sagesse, à certains égards fataliste, est à la fois ultraphobique et attachant, cinglé et attendrissant. Le monde est fou et celui qui en a peur passe pour plus fou encore. Renversement classique des valeurs, héroïsme caché de celui qui tente de résister à ce monde devenu dément.

Fou apparent mais obéissant. Management, un avatar de Big Brother, propose à Qohen une mission intellectuelle dont l’énoncé parodie la novlangue de 1984 : « Zéro égale 100 % » ; on devine plus ou moins qu’il est chargé de démontrer que le monde n’a pas de signification, est absurde, ce qui peut accroître le besoin de marchandise. Telle est la leçon de ce film : la science des abstractions mathématiques peut servir le capitalisme en détruisant le sentiment de la bonté naturelle de l’existence humaine et la croyance, largement partagée, que le monde ne serait pas un chaos.

Mais l’amour intervient et bouleverse la vie de Qohen. Le fait narratif qu’il s’agisse d’une prostituée convoque l’image biblique, chrétienne, de la femme de rien capable de jouer un rôle dans l’histoire. L’amour vécu avec elle est cependant non seulement irréel mais entièrement soutenu par une connexion web. Sans qu’on sache pourquoi, la prostituée tombe amoureuse et lui aussi mais trop tard : elle a pris la fuite seule.

Alors advient le moment de révolte : Qohen détruit la grande machine neuronale qui exerce la domination psychique et technique. Cette révolte demeure individuelle : aucun aspect collectif n’est envisagé. Pire : le personnage plonge dans la machine en ruine, devenue un immense vortex d’images irréelles, sous-entendu dont le contrôle central a été perdu. Il rejoint une île virtuelle où il retrouve quand même la prostituée aimée (sa voix est distinctement audible durant le passage au générique de fin). Happy end ou presque.

Le déni de la différence entre réalité et virtualité rend franchement douteux et obscur le message général du film. La révolte n’est qu’individuelle ; elle se limite à briser les caméras de surveillance, puis à casser la machine psycho-technologique ; finalement, elle se dissout dans une marre de plaisirs individuels ni réels ni irréels. Ce film enseigne la résignation : toute action collective est a priori tellement impossible que personne n’y pense, personne n’en rêve.

Depuis Brasil, le message n’a pas beaucoup changé : la lutte est vouée à l’échec. Dans Brasil, le héros sombrait dans la folie, fuite et solution individuelle. Dans Zero Theorem, la leçon est semblable. Il n’y a qu’à trouver le lieu et la manière de tirer profit du système, un profit mental ou affectif, présumé inconvertible en monnaie.

Un film séducteur et trompeur, d’autant plus irritant qu’il a l’air hostile à l’aliénation technologique et capitaliste. Si la critique sociale se limite à ce genre de récit, diffusant le reconcement et la résignation, rien n’empêche de retirer son intérêt à ce genre de propagande faussement libertaire.

Jean-Jacques Delfour

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commentaires

J
Je ne suis pas certain de partager votre avis. D'un côté, on peut voir certes le fatalisme de toute entreprise à essayer de se révolter contre ce système aliénant. Cependant la réflexion va plus<br /> loin; à force de vouloir saisir le sens de la vie, on passe à côté. Il refuse justement la vie (ici incarné par l'amour, la promesse de liberté) pour en avoir la réponse à la raison de son<br /> existence. Le hic, c'est qu'il se retrouve sans réponse car il y en a pas. En tout cas pas de manière intelligible. Il se rend compte de son erreur et se résigne à prendre la pilule rouge. Mais<br /> cette fois-ci avec sérénité. Cette sérénité est justement dû à l'absence de but, il ne se sent plus obligé de réaliser quelque chose dont il ne connait pas les tenants et aboutissants. Il a le<br /> droit de vivre, d'aimer et surtout de trouver lui-même un sens à ce qu'il est. C'est l'idée camusienne de la liberté : donner du sens à ce qui n'en a pas à priori. Le monde est absurde mais sisyphe<br /> pousse sa pierre parce qu'il vit!
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F
Personellement je l'ai pris sans trop d'analyse pour un film dans le genre accepter la mort, ou que la vie n'a pas de sens et que c'est a nous de le donner.<br /> Par chance je ne l'ai pas vu au ciné, mais je trouvais que ça faisait un peu chers l'actualisation de Camus, même si pour certains ça p.ê nécessaire.<br /> Bref, j'ai trouvé le fond un peu pauvre et décevant pour un auteur qui pourrait par ailleurs certainement faire mieux.
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