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17 août 2014 7 17 /08 /août /2014 19:36

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Compagnie Action d’Espace © Syleks

 

La guerre coloniale, maquillée en opération de police, alignant massacres et tortures, est un cauchemar pour ceux qui l’on vécue directement mais aussi pour leurs enfants. La guerre d’Algérie fut, côté français, une sale guerre, injuste et illégitime. Tandis que, côté algérien, elle était une guerre juste et même légitimée par l’idéologie des agresseurs (les Droits de l’homme, la souveraineté populaire, etc.). Les paras tortionnaires, que décrit Henri Alleg dans La question, 1957, se référaient explicitement à la torture en Indochine ou même à la Gestapo.

La violence directe des « événements » d’Algérie, comme disait la censure d’État, occulte, voire éclipse complètement la violence vécue par les fils des acteurs direct de la guerre coloniale. Si les traumatismes les plus durs affectent ces derniers, il appartient à leurs enfants de trouver une voix pour dire leur guerre d’Algérie à eux, dont ils souffrent sans la connaître, peut-être plus violemment du fait du caractère indirect. Comme les guerres sont toujours atroces, la part du refoulement et du déni est immense. Celle-ci augmente à la génération suivante.

C’est ce poids exorbitant du trauma non reconnu qui affecte les fils des acteurs de la guerre. La guerre est passée sous silence parce qu’horrible et parce qu’elle est le fait des pères. Les fils n’ont aucun droit à parler d’une guerre qu’ils n’ont pas faite mais qui, en revanche, les a faits, les a altérés, les a transformés.

L’histoire officielle n’en veut pas : car il faut croire que la violence passée disparaît, une fois accomplie. Place au présent ; et que se taisent ceux qui ont vraiment vécu d’indicibles horreurs ! L’histoire française n’en veut pas pour une deuxième raison : la honte de la torture, la honte d’avoir abandonné les Harkis, la honte d’avoir relégué dans des ghettos les populations d’immigrés qui ont reconstruit la France contemporaine.

De ces caractères dérive l’ensemble des choix esthétiques. Le recueil de témoignages relativement bruts auprès des fils concernés, en amont du spectacle, répond au vide historiographique officiel. La fabrication d’un espace étroit mais ouvert, où les comédiens soient entourés par les spectateurs, répond à la solitude des fils. La recherche d’un appui moral (donc symbolisé par les corps chorégraphiques) répond aux abandons symboliques et physiques qu’ils ont subis. La parole, crue, en face à face avec les spectateurs, répond au fait habituel de détourner les yeux quand ces histoires-là viennent sur le tapis. La prise de parole singulière, prudente et puissante, répond à la censure multiforme.

Un cube rouge, pierre tombale errante, sang des victimes figé en une pierre d’achoppement, pavé de la contestation, brique du mur des lamentations à construire, caillot de sang qui ralentit la circulation, pierre sarcophage qui ronge les corps et les âmes des fils de la guerre d’Algérie, rocher sisyphéen sans cesse à remuer, parpaing inerte de l’oubli, ce cube rouge est un Hermès : un truc rusé qui effectue le lien entre l’Histoire, les pères, les fils, les témoins, les spectateurs.

Ainsi peut circuler l’émotion du témoignage, l’impression grisante et grave d’être en communication avec l’Histoire, celle avec une grande hache, comme dit George Perec dans W ou le souvenir d’enfance.

Jean-Jacques Delfour

 

 

Vu lors du 29e Festival international de Théâtre de Rue, à Aurillac, 20-23 août 2014.

 

 

 

 

 

  

 

                                  

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