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19 octobre 2014 7 19 /10 /octobre /2014 14:17

 

Au théâtre Garonne du 16 au 25 octobre.

Ce spectacle enchanteur combine des métamorphoses assez imprévisibles et des régularités fermes sans être implacables. Le spectateur peut s’abandonner aux délires des transformations sans crainte car il est soutenu par des points d’ordre.

La métamorphose est fascinante : elle indique une liberté d’être, l’émancipation à l’égard de ce pauvre corps à peu près identique à lui-même. Mais, tout fini et limité soit-il, c’est aussi sa stabilité, sa résistance, sa fiabilité, qui forment le support pour notre existence individuelle. D’où le caractère anxiogène de la métamorphose. Sauf ici où elle est domptée, canalisée, civilisée.

Dans Mazùt (signifiant étrange, oscillant entre le sordide pétrole et l’exotisme mystérieux), la circulation métamorphique relie humain et animal, chose et être vivant, diverses attitudes professionnelles, animal de carton et animal de chair. Le Centaure inversé, sorte de Minotaure chevalin, se présente comme un ensemble de gestes typiques, de postures et de sons. La pantomime suscite la vision de reconnaissance : la cabaléité, l’essence du cheval qui fit naguère, dans les temps très antiques, les délices des métaphysiciens, n’est peut-être pas plus qu’un ensemble typique de mouvements. Le chien de chair, qui joue parfaitement ses rôles (chien coussin, chien câlin, chien de berger), montre in vivo cette condition de tout spectacle : que les choses se montrent à nous sous quelques aspects distincts et limités, sous tel et tel angle, jamais complètement. Rien, ni les personnes, ni les corps, ni les choses ne sont entièrement données à la perception. Cet allégement ontologique (l’apparence vaut l’être) est aussi un allégement moral : le spectacle suggère qu’il n’y a pas lieu de souffrir du règne des apparences, de l’empire des approximations. L’être humain est approximatif et mouvant.

Tandis que la partie crête du spectacle est explosive, intense et instable, à peine sous la ligne de visibilité, tantôt dessus tantôt dessous, tout un corps d’objets assure la stabilité et l’ordre sur lesquels peut s’élever le chaos. Un cadre blanc bien net, une pluie géométrique, des cartes topographiques épurées, symbole même de la tentative de stopper la mouvance fascinante et interminable du réel, l’identité à soi-même du chien, rappellent que l’œuvre d’art associe toujours des forces opposées : la forme belle et la confusion pulsionnelle, l’envie d’exalter la vie et l’attrait pour la destruction, l’ancrage dans l’ici rassurant de l’existence et le désir de irrésistible de l’ailleurs.

La joie qui monte progressivement dans le spectateur tient aussi à la présence, chez les deux comédiens, acteurs, circassiens, chanteurs, acrobates, d’une puissance et d’une énergie constamment à l’œuvre, jamais débordées, résistantes, pugnaces, réglant le ballet des objets et le cycle des métamorphoses. Un combat avec les forces chaotiques immergées dans les choses insistantes et les pensées obsédantes. Un plaisir subtil, enfantin, discrètement grave.

Jean-Jacques Delfour 

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